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Un sujet grave au zinc

18 Oct 2017

Le P’tit Comptoir 3

Droit de mourir dans la dignité.

Gilles : Salut Roger. Quoi de neuf ?

Roger : Bof ! Pas grand chose. Qu’est-ce que tu bois, c’est ma tournée.

Voyons… onze heures et demie, c’est l’heure de l’apéro. Allez, Patron, pour moi ce sera un kir aligoté.

Et pour moi un soda citron.

Tu parles d’un apéro… Tu t ‘es racheté une vie ? Tu vires ascète, sur le tard ?

Non, non ! Simplement, je prends conscience, prenant de l’âge, de la dangerosité de l’alcool, ce faux ami, comme dit mon toubib. Je ne voudrais pas mourir d’une cirrhose, il paraît que c’est une mort atroce.

Bah ! Il en va de l’alcool comme de toute substance un tant soit peu addictive, une consommation modérée et raisonnable est de nul danger. Le drame vient toujours des excès.

Sans doute, mais où placer la barre ?

À chacun sa propre échelle. S’agissant de l’alcool, son côté convivial cesse dès qu’on dépasse la dose qu’on peut supporter sans tomber dans le piège désinhibiteur. C’est là qu’est le danger. Que de conneries commises après boire ! Si tu préfères, que de déboires ! Ça peut se traduire par une courbe décrivant une montée euphorisante, on se croit plein d’esprit et d’optimisme, puis, le sommet atteint et dépassé, c’est la dégringolade, humiliante et parfois violente. Il y en a qui ont le vin mauvais. Cela dit, le Bourguignon que je suis n’est pas à la veille de devenir abstinent total. Comme on dit à Beaune, « Buveurs d’eau sont gens maussades », et j’ajoute, peu enclins à philosopher avec Rabelais et sa « Dive bouteille ».

Et je suis fier et je suis fier-ère, d’être Bourguignon etc. Incorrigible, le Grand Dadais.

Mais nullement inquiet de traîner une cirrhose mortelle. Moi, et plein de copains avec lesquels j’en parle, ce que nous redoutons le plus, c’est à la fois la déchéance de la vieillesse : finir « bredin » et la détresse qu’entraînent les maladies incurables. Mourir dans la dignité est en soi un objectif que la loi Claeys-Leonetti n’assure pas pleinement.

En tout cas, c’est ce que pensait Anne Bert qui a choisi l’euthanasie en Belgique faute de pouvoir y recourir en France. Elle s’était fixé comme limite, pour choisir l’euthanasie, le moment où l’avancement de la maladie ne lui permettrait plus de se nourrir ni de se laver seule. Elle a expliqué ici et là, à la radio ou par écrit que la loi Claeys-Leonetti est une pure hypocrisie qui ne respecte pas la volonté des malades.

Le procès est rude, tu ne trouves pas ? Cette loi, même imparfaite est un progrès, non ?

Soyons bon prince. Je reconnais que depuis la loi Kouchner, qui a instauré un droit à l’information et l’accès au dossier médical, le législateur avance à petits pas, mais les scories de la culture chrétienne font barrage. Le lobby catholique est puissant et il peine peu à terroriser les députés, eux-mêmes souvent imprégnés de cette culture. Même inconsciemment.

Bon sang ! Reconnais au moins les avancées et les progrès sans chipoter. Droit au refus de tout traitement écartant l’acharnement thérapeutique. Cette saleté qui maintient artificiellement la vie, mais au prix de quelles souffrances !

Sauf que la loi autorise le médecin à s’y opposer en suggérant le recours à une autre équipe et en obligeant le malade à réitérer sa demande dans un admirable « délai raisonnable », comme on dit. De plus, il peut faire valoir une clause de conscience, laquelle ne le dérange pas quand le malade souffre comme un dément. Reconnais à ton tour dans ce dernier évitement, les scories religieuses dont je parlais tout à l’heure. Le christianisme a un rapport masochiste à la souffrance censément rédemptrice.

Qui parle de scories religieuses et de souffrance rédemptrice ?

Pierre, dit « Vin de messe », curé du village et ami de la plupart des habitués du P’tit Comptoir avec lesquels il a partagé les bancs de la Communale, fait son entrée. C’est l’heure de l’apéro, n’est-ce-pas ? Un épicurien, fut-il curé, ne saurait la bouder.

Je vois que dès que j’ai le dos tourné les foutus mécréants que vous êtes dénigrent la religion.

On dénigre pas, dit Gilles, on constate que votre foutue doctrine met encore et toujours des bâtons dans les roues du droit à l’euthanasie, ou mieux dit encore, du droit à mourir dans la dignité, qui me semble plus approprié parce que moins péjorativement connoté.

Patron, un kir, boisson ecclésiastique si l’en est. Les mécréants doivent, une fois pour toute, admettre que leur vie ne leur appartient pas, elle est un don du ciel. Seul le ciel en dispose. Il donne et il reprend. Telle est la logique.

Gna, gna gna ! Darwin vient encore de se retourner dans sa tombe. Remarque, comme ça il évite les escarres.

Darwin n’a rien à voir dans cette affaire, la création est la création, point final. Toutes vos soupes d’atomes d’où sortirait la vie ont bien eu un commencement, et ce commencement, c’est Dieu qui l’a voulu. Relis l’Évangile de Jean et sa théorie du Verbe créateur.

Et son Apocalypse, pendant que j’y suis ?…

Parfaitement, mon Gilou, et son Apocalypse. Où il détruit sa création pour la remplacer par un monde nouveau, débarrassé du mal, symboliquement appelé « La Nouvelle Jérusalem ».

N’en jetez plus ! (Roger, sort enfin de son silence). Pierre, s’il n’y avait que ton bon Dieu pour interdire l’euthanasie ou toute les manœuvres possibles qui conduisent à une mort sereine, ça irait encore, parce que pour nous ce ne sont que billevesées rétrogrades et, à la toute fin, ridicules, mais figure-toi que l’État s’en mêle, lui aussi.

Et il a bien raison. Ça vous évite bien des bêtises.

N’importe quoi ! Réfléchis deux minutes, au-delà de ton missel. L’État est aussi hypocrite que la religion. Il t’empêche de choisir ta mort, mais t’envoie sans hésiter sur un champ de bataille. Comme s’il avait droit de vie et de mort sur toi, alors qu’il t’en exclut.

En fait, reprend Gilles, l’équation est simple : la vie que je vis, c’est moi qui la vis, elle m’appartient, à moi seul, et sûrement pas à ton bon dieu ni non plus qu’à l’État. Je dois pouvoir en disposer sans entrave. Alors les lois à la gomme, bourrées de non-dits et de possibilités de les violer,  aussi faiblardes soient-elles, merci ! Il est temps que les politiques prennent leurs responsabilités d’hommes et de citoyens et répondent enfin à ce scandale permanent. Sont-ils plus frileux que les Belges et les Suisses ? Faut croire que oui !

Donc, dit Roger, tu souhaites qu’on aille encore plus loin que ce qui est acté ? Comme le droit au soulagement de la douleur, le droit à la prise en compte des directives anticipées. Le droit de se faire représenter par une personne de confiance, au demeurant dotée de pouvoirs importants : son avis (sauf urgence ou impossibilité) prévalant sur tout autre avis non médical – à l’exclusion des directives anticipées – dans les décisions d’actes médicaux prises par le médecin. C’est pas rien, tout de même.

C’est pas rien, en effet,, mais cela limite tout de même ta liberté qui reste, que tu le veuilles ou non, sujette au bon vouloir du corps médical, pas toujours bien disposé. Pire, les personnels médicaux qui seraient enclins à l’être et à accepter une évolution de la loi, sont pieds et poings liés et n’ont de recours qu’en une autre forme d’hypocrisie : une aide informelle, plus ou moins cachée, mais bien réelle. C’est leur honneur, c’est le risque qu’ils prennent, ils ne devraient pas en être réduits à ça. Bon sang !

Soupir du curé « Vin de Messe », évidemment pas convaincu. Mais quoi ! Le P’tit Comptoir ne réglera pas le problème. « Remets ma tournée patron, discuter donne soif. Dieu merci ! ».

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1 Commentaire

  1. Daniel Adam

    Le terme EUTHANASIE recouvre une pluralité de sens, à l’origine de deux grands principes aussi fondamentaux et contradictoires l’un que l’autre : le respect de la vie et celui de la liberté.

    Il est évident que les partisans du respect de la liberté individuelle, pour lesquels le principe d’autonomie est une valeur sacrée, ont sur ce drame qu’est l’euthanasie une position diamétralement opposée à celle de ceux pour qui la sacralité de la vie interdit de porter atteinte au droit intangible de la vie d’autrui.

     Les religieux qualifient ces positions antagonistes comme laïques et religieuses. Ce qui est proprement absurde. D’abord, parce que la sacralité de la vie est confirmée par l’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), ensuite parce que la laïcité n’est l’athéisme ou l’agnosticisme.

    Par contre, agnostiques ou athées doivent éviter les généralisations trop hâtives. C’est une chose que de revendiquer son doute ou sa non-croyance en une vie d’origine divine. C’en est une autre que d’affirmer qu’il est licite de traiter la vie humaine sans autre considération.

    La question de la fin de vie a toujours divisé. Face à la difficulté d’obtenir un consensus, la facilité est d’évacuer le débat éthique vers une sorte de troisième voie, subtil équilibre entre respect de la vie et liberté individuelle, prônant le ni Oui, ni Non.

    Afin de placer ce débat sur un terrain neutre, il est nécessaire de définir l’Euthanasie. Ce qui nous affranchit également d’un relativisme moral affirmant que  « l’Euthanasie est un bien puisqu’elle est majoritairement souhaité ». Pour moi, l’appel à la majorité n’est pas un argument valable. C’est même un sophisme au regard de la suppression de la peine de mort, par voie non référendaire.

    Un peu d’histoire

    Depuis son apparition au IV siècle avant JC ou Zébulon (pour ceux qui ne reconnaissent pas cette convention pratique) le terme Euthanasie a connu de nombreux glissements sémantiques.

    L’étymologie du mot est grec. Formé de l’adverbe « eu » (qui veut dire bien) et du substantif « tanathos » (mort), il désigne alors la bonne mort. A l’époque, une bonne mort était une mort honorable, ce qui ne voulait pas dire qu’elle était indolore ou facile. En effet, pour les Grecs, une vie n’était authentiquement réussie que si elle s’achevait par une mort réussie, c’est-à-dire dont la postérité se souviendrait.

    Par contre, SUETONE, auteur latin du I siècle, l’utilise pour désigner une mort douce, avec cette idée sous-jacente que la mort qui advient de façon prompte et sans souffrances permet à celui qui l’a subit d’en être l’auteur. Il faut ajouter que les médecins de SUETONE étaient déjà soumis au serment d’Hyppocrate : « je ne remettrai à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion ». Les médecins romains, qui étaient pères de famille, avaient droit de vie et mort sur leurs enfants !

    Après être tombé dans l’oubli durant quelques siècles, le vocable réapparaît au XVII siècle, avec le philosophe anglais Françis BACON. Ce dernier installe la question de l’euthanasie dans le champ de l’éthique médicale de façon si précise qu’il serait en quelque sorte le précurseur des soins palliatifs et de l’accompagnement des mourants, comme nous allons le constater..Il connaissait le serment d’Hyppocrate et avait annoté le traité hyppocratique « De l’Art ». Ce texte assignait un triple rôle à la médecine :
    – écarter les souffrances des malades,
    – diminuer la violence des maladies,
    – s’abstenir de toucher ceux chez qui le mal est le plus fort.
    BACON a perçu, par ses analyses, un fait essentiel : l’euthanasie ne constitue pas un corps étranger à l’art médical, mais en fait intégralement partie.

    Aujourd’hui le mot désignerait plutôt la mort choisie par opposition à la mort naturelle.
    Pour la médecine légale, le mot signifie bonne mort, mort douce et sans souffrance.
    C’est maintenant la définition, communément admise.

    Formes

    Dans la pratique, l’euthanasie se différencie selon différentes formes, en fonction de l’intention de l’acte.

    Place donc au débat !

    1.- l’euthanasie active consiste à administrer à un patient, qui souhaite mettre fin à ses jours ou sans son consentement, des substances létales dans l’intention de provoquer la mort, sur décision d’un proche ou du médecin,
    2. l’euthanasie passive consiste à refuser ou à arrêter un traitement nécessaire au maintien de la vie du patient,
    3. l’euthanasie indirecte est l’administration d’antalgiques dont la conséquence seconde et non recherchée est la mort du patient.
    4. l’aide au suicide vise la situation du patient qui accomplit lui-même l’acte mortel, guidé par un tiers qui lui fournit, le cas échéant les moyens et les renseignements nécessaires.

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