Justice et réparations loufoques
Si justice se doit d’être réparatrice, celle appliquée par certains magistrats étasuniens relève de la loufoquerie
Quel sérieux accorder à l’inventivité répressive de magistrats quand certaines de leurs mesures révèlent une pure loufoquerie ? Les réparations de justice en sortent-elles indemnes ?
Regarder « Bambi » attendrira-t-il un massacreur de cerfs ? Oui, selon un juge du Missouri qui a condamné début novembre 2018 un braconnier américain multirécidiviste à visionner le dessin animé éponyme une fois par mois tout au long d’une peine d’un an d’emprisonnement. Douze fois Bambi, ça va être dur !
La réparation pénale doit être claire, mais certaines improvisations farfelues la déboussolent
Alfred, un gamin âgé de 17 ans, a échappé à la prison mais pas à la messe : un juge l’a condamné à fréquenter l’église pendant dix ans, à la suite d’un accident au volant d’une camionnette, ayant causé la mort de son passager. Outre les prières pour le salut de son âme, ce juge de Tulsa lui a ordonné d’obtenir dans les dix ans un diplôme d’une grande école – délirant, non ? – ainsi qu’un brevet de soudure sans doute pour bricoler l’épave de la camionnette, de participer à des groupes de discussion de victimes et enfin de porter des bracelets contre la drogue et contre l’alcool. Fin d’une copieuse ordonnance.
Pour nous, il y a une rationalité dans le fait de considérer la messe comme une punition, mais il n’est pas sûr que cette opinion soit partagée par ce bon chrétien de juge.
Autre exemple : Une femme de 28 ans s’est vu infliger par un magistrat de Caroline du Sud un compte rendu du livre de Job. Cette légende, tirée de l’Ancien Testament, raconte que Job, homme de grande vertu, était resté fidèle à Dieu en dépit des nombreux malheurs qui s’abattaient sur lui, avant d’être finalement récompensé. Alléluia ! Elle n’a pas pour autant échappé à une peine de huit ans d’emprisonnement et cinq ans de probation.
Huit ans pour potasser le livre de Job et cinq pour prêcher la bonne parole ?
Et pour la bonne bouche : Célèbre pour ses jugements hors du commun, réduisant selon lui les risques de récidive, le juge Cicconetti, a par exemple, condamné une jeune femme à marcher 30 miles (48,3 km) pour avoir omis de payer la note de 100 dollars due à son taxi pour une course de même distance. S’avisant qu’elle n’y parviendrait pas en raison de difficultés majeures, il l’a réduite à 20 miles (32,2 km). Quelle mansuétude, mes Seigneurs ! Ce qui ne l’a pas exonérée de quatre mois de probation et des 100 dollars à rembourser. Les esprits chagrins diront que cela aurait été suffisant, mais pas ce bienfaiteur qui devait sans doute veiller à la bonne santé de la donzelle. Il ne lui a manqué que de lui imposer cinq fruits ou légumes par jour pour que la prescription atteigne la perfection.
Justice et réparations loufoques : l’antinomie
Que viennent faire les bondieuseries dans ces galères ? Le code pénal ne fixe-t-il pas les peines aux USA ? L’humiliation et la contrainte physique ne sont-elles pas attentatoires à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1948 ? Elle stipule en son art 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
Je ne crois pas que ces inepties soient drôles, même si cela m’amuse de les décrire. Je ne peux m’empêcher, les découvrant, de me souvenir de ce chefaillon qui voulait à toute force que je mesure la cour d’honneur du régiment avec une allumette. Réfractaire à cette idiotie, j’avais préféré un court séjour dans la taule militaire.
Depuis 1789, on punit, il le faut bien parfois, mais on ne torture plus, ni la chair ni les « âmes ». Du moins en principe !
L’esprit américain, dans sa grande suffisance due à la conviction d’être le « peuple élu », n’en a cure et ses magistrats ont toute latitude pour exercer leur fantaisie. Notre droit n’est pas parfait, mais nous le préférons dans la mesure où les sanctions qu’il prévoit échappent aux bricolages ubuesques.
Gilles Poulet
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