Quand une musulmane réformatrice emmène la République à la mosquée
Deux musulmans unissent leur réflexion pour un projet inouï : édifier une mosquée idéale où femmes et hommes seraient traités indifféremment. Bousculer les traditions pour proposer un islam égalitaire, entreprise digne d’intérêt mais inconcevable pour de nombreux pratiquants. Ceci donne motif à réfléchir à ce que peut bien dire « Renforcer la Laïcité », selon les propos tenus par le Président Macron. La Laïcité ? et s’il suffisait de l’appliquer comme elle est !
Renforcer l’égalité homme femme
Dans le contexte actuel d’une possible révision extensive et très controversée de la Loi de 1905, quelques musulmans réclament la mixité cultuelle.
Deux protagonistes français s’associent pour promouvoir un islam plus conforme à leur conviction. Elle, Kahina Bahloul étudiante, islamologue à l’EPHE à Paris (l’École Pratique des Hautes Études) poursuit un doctorat après un master « Sciences des religions et société » (SRS) ; lui, Faker Korchane est journaliste indépendant, c’est-à-dire libre de toute contrainte éditoriale. L’une et l’autre vont valoir, courageusement, leur liberté d’expression pour obtenir que le projet se réalise. Ils sont d’ailleurs médiatisés par le journal La Croix dans un article paru le 05 / 01 / 2019 de Julien Tranié, intitulé : Un projet de mosquée « inclusive » à Paris. Que demandent-ils ? Un lieu « idéal » : une mosquée mixte conçue pour la libre expression de leur religion. Le bâtiment cultuel a déjà été baptisé « Fatima » ; les fidèles femmes et hommes ne seraient pas discriminés par leur sexe puisqu’une mixité – relative -prévaudrait. Ainsi les femmes ne seraient plus reléguées au sous-sol à l’écart des hommes, comme pour beaucoup de mosquées en France, ni obligées d’écouter sur un écran la diffusion des paroles de l’imam officiant un étage au-dessus. Une schizophrénie généralement imposée.
… Et quand la Laïcité rappelle l’exigence d’égalité homme-femme
Comment le droit républicain, et notamment l’égalité femme-homme, sont importés par des citoyens dans leur espace cultuel.
Kahina B. invente le slogan « Mosquée inclusive ». Il y avait déjà la tentation d’appellations dévoyant la laïcité, qualifiée des sobriquets : « ouverte », « fermée », « radicale », « nouvelle », « apaisée » … On sait que l’adjectivisation signale généralement la réduction d’un concept qui devrait se suffire à lui-même. Certes une étudiante peut se servir d’une image explicative mais que recouvre ce néologisme ?
Cherchons des pistes pour comprendre cette expression nouvelle empruntée aux mathématiques. Les musulmanes ne se sont pas précipitées sur les réseaux sociaux d’internet pour « balancer leur porc » en octobre 2018, ni pendant la campagne « Me too » initiée dès 2007 par l’américaine Tarana Burke, pour dénoncer les abus sexuels dont elles auraient pu être victimes. Ici le contexte est différent. Que demande Kahina ? Une mosquée sans discrimination entre les hommes et les femmes. Un décloisonnement du lieu-mosquée comparable à la révolution qu’a subie le bureau professionnel individuel dans les entreprises. Pour poursuivre l’analogie : le bureau fermé a laissé la place à un espace ouvert où chacun(e) travaille, devant son ordinateur par exemple, et où les employé(e)s se déplacent vers leurs collègues, publiquement et parlent sans aparté … Kahina implore le droit d’être visible, d’exister, d’être reconnue, elle comme ses sœurs ! La femme devrait-elle être honteuse d’être vue et envisagée ? Les mosquées sont gérées par des Conseils majoritairement ou exclusivement masculins. L’homme serait-il si mal éduqué qu’il ne puisse côtoyer civilement sa semblable ?
Est-ce un projet novateur ?
Il existe déjà à Berlin une mosquée mixte dite libérale créée en 2007 dont la fréquentation est réduite ; le bâtiment cultuel est « prêté » par la communauté protestante et l’imam principal est une femme moderne, avocate, qui prêche en allemand. Mais pour garantir sa sécurité la police doit la protéger. Sa liberté d’action n’est garantie que sous la vigilance de la Bundesrepublik. Le droit coranique interdit en effet à une femme d’être imam (nom masculin) : c’est-à-dire le dirigeant du groupe de prière, lorsqu’il y a des hommes dans la communauté …
Braver la peur, les reproches, et les interdits même dans une mosquée
Dans un lieu adéquat légal, le culte peut s’exprimer librement, mais sans faire entorse aux principes républicains. Les repères d’éducation des plus jeunes en dépendent : ils ont besoin d’apprendre la mixité égalitaire. Kahina désire, outre la possibilité de prier en communauté mixte dans le même lieu, l’alternance de prêches-oraisons d’imams successivement masculins et féminins. Ici, c’est la devise d’unité nationale qui est mise en exergue : « Liberté-Égalité-Fraternité ». La formule « mosquée inclusive » prend alors tout son sens. L’idée de la doctorante musulmane est de « proposer une nouvelle offre religieuse dans le paysage musulman ». Elle regrette « qu’en France il n’y ait que les offres salafiste, wahhabite ou traditionaliste qui coexistent » (Sic). Les subtilités intrinsèques liées aux dogmes appartiennent à chaque religion. Ce qui est digne d’intérêt c’est la perception de liberté et d’égalité de traitement des pratiquants. Or des aveux-mêmes des deux lanceurs du projet « Mosquée Fatima », des résistances opiniâtres empêcheraient la mixité absolue ; les femmes et les hommes seraient, les unes à droite, les autres à gauche, car la position de prosternation pendant la prière ne doit pas être perturbée de pensées impures liées à la posture … qui est ce qu’elle est ! Au demeurant, ce tri sexué existait il n’y a pas si longtemps dans les églises catholiques. D’ailleurs la répartition de l’espace dans les lieux cultuels est toujours motif à ségrégations, tant sexistes que sociales. Sujet tabou : quelle place assigner à la femme infidèle ?
Quand l’exigence d’égalité est encore un luxe
Les pratiques de répartition discriminatoire sont injustes et blessantes. Les hiérarques sacerdotaux colportent les décalages historiques. Lorsque de rares et courageuses critiques surgissent en interne, c’est que l’abus est allé bien trop loin. Dans le meilleur des cas les adeptes sont partis vers d’autres lumières plus rationnelles, là où le progrès n’est pas entravé par des superstitions ou des aberrations d’un autre âge. En réalité Kahina est une femme du XXIème siècle qui fréquente des femmes libres dans son milieu professionnel privilégié. Son innovation est un luxe. Un luxe dont on ne saurait la blâmer. L’islam vue par une universitaire : distanciation obligée.
Et quand l’exigence d’égalité devient enjeu politique
L’initiative « Mosquée Fatima » vient d’une doctorante à l’EPHE. Celle-ci conduit son projet avec une méthodologie scientifique et critique, digne du laboratoire. Certes elle souhaite parvenir à une pleine réussite. Mais elle est prête aussi à décrire les obstacles, voire les causes d’un échec éventuel. On comprend son inquiétude : à vouloir l’égalité cultuelle femme-homme, aurait-elle raison trop tôt ?
Cette démarche pragmatique (initier et décrire) répond à un questionnement politique sur le rôle de l’État : doit-il prouver sa neutralité en fermant les yeux sur ce qui se passe au sous-sol des mosquée ? Doit-il risquer l’interventionnisme par un statut de l’islam obligeant à la dignité républicaine dans les lieux du culte ? Autant dire que l’expérience est suivie par les organismes qui observent le devenir de la Laïcité en France … certains proches de l’EPHE.
Pour les mollahs et beaucoup de fidèles, il est indispensable de voir perdurer les traditions religieuses codifiées. Leur contrainte extériorisée est plus valorisée que la compréhension d’une doctrine : une femme doit bien se conduire avant que d’être instruite. Présentement, toute la communauté musulmane paraît d’accord sur un point : la neutralité de l’État lui interdirait d’élaborer un statut spécifique (une Loi 1905 spécialisée) pouvant influer sur le déroulement du culte. Dans cette optique, la neutralité laïque se comprend comme l’abstention dans l’action réformatrice.
Sans la laïcité, dérive religieuse annoncée …
L’expérience « Mosquée Fatima » est une démarche délibérée et réfléchie. Elle répond à la question « Et si l’islam pouvait parvenir à une acclimatation républicaine en se réformant de l’intérieur, sans intervention étatique, et de l’initiative-même de celles qui sont le plus lésées ? ». Cette opportunité aplanirait le terrain et soulagerait les responsables politiques d’avoir à prendre position pour faire respecter l’égalité femme-homme. Mais un échec, tout au contraire, durcirait la difficulté. En pareil cas, faudra -t- il alors penser « à quoi bon se préoccuper de chicanes religieuses qui méritent la dérision ? Le scandale de la ségrégation durera bien jusqu’à ce que les femmes se révoltent faute d’avoir pu réformer en douceur ».
A ce genre de problématique, la solution officielle est qu’il faudrait renforcer la Laïcité (cf. Lettre aux Français / Président Macron 14 janvier 2019). Alors précisons :
– renforcer la Laïcité, ce n’est pas dire que la neutralité de l’État lui interdirait de dénoncer les pratiques sexistes dans les lieux cultuels [ce serait une application négative du principe de laïcité] ;
– renforcer la Laïcité, c’est dire que la neutralité de l’État justifie l’action publique quand elle s’oppose à la ségrégation sexiste dans les lieux ouverts au public, et cela même à l’encontre d’exigences dogmatiques [et c’est l’acceptation positive du principe de laïcité].
En conséquence, soit l’expérience d’assimilation « Mosquée Fatima » réussit de l’intérieur, soit le pouvoir politique devra – en parfaite conformité laïque – s’opposer à ce que l’on continue à trier péjorativement les hommes des femmes dans des mosquées. Et pour permettre cela, la Loi de Séparation de 1905 est assez forte des règles républicaines sans qu’il soit nécessaire de la « renforcer ». La ségrégation sexiste est déjà interdite. Renforcer la Laïcité, c’est tout simplement commencer par l’appliquer.
En toute vraisemblance, les associations cultuelles musulmanes auront prochainement à bénéficier des mêmes défiscalisations pour leurs activités que les associations cultuelles déjà établies. Mais on ne saurait concevoir que des aides budgétaires soient ainsi accordées sans la contrepartie d’une remise en cause de mœurs moyenâgeuses, dans ce qu’elles ont de plus repoussant.
Nicole FAVOT
0 commentaires