Note de lecture : Traité d’économie hérétique
sous-titré : « En finir avec le discours dominant »
Thomas PORCHER
Fayard 18€
C’est une vigoureuse entreprise de démystification en même temps qu’un remarquable effort pédagogique en direction du pauvre gogo que nous sommes presque tous, encalminés dans le discours lénifiant autant que mensonger de la doxa économique officielle, que nous offre Thomas Porcher avec ce livre qui se vante d’être hérétique en matière d’économie.
Tout en démontrant que l’économie, contrairement à ce que prétendent les « économistes » officiels, n’est pas une science exacte – La preuve : deux prix Nobel d’économie divergent sur le même sujet avec des arguments « imparables », selon eux et le fameux consensus de Washington, chef d’œuvre de l’École de Chicago, qui se résume à stabiliser, privatiser et libéraliser, est un échec retentissant, au vu de ses résultats calamiteux. Thomas Porchet constate que le discours est tellement rodé (TINA, n’est-ce-pas?) que nous sommes dans une logique de servitude volontaire.
Ce monde inhumain, à force de détruire et de mettre en souffrance tant et tant de gens, pèche par le mythe de la réussite individuelle, seule apte à élever les individus. Exit le collectif, exit le social, revoilà « la guerre de tous contre tous »,mise au goût du jour. Cette – courte – vue permet au passage de rendre le chômeur seul responsable de son malheur, les menées du patronat et des actionnaires étant du coup exonérées de toute implication directe. Haro sur le baudet chômeur, fainéant patenté et profiteur infâme !
Porcher examine ensuite le marché du travail et les diverses réformes libérales qu’il a connues, pas moins de 165 entre 2000 et 2013, pour rien. Le chômage ne fait que croître et le droit du travail décroître. La mirifique flexibilité est de peu d’effet en dehors d’exposer les salariés à l’arbitraire patronal. Du reste, en Allemagne, tellement en avance sur nous, le taux de pauvreté a augmenté de 54% en 10 ans, le taux de travailleurs pauvres a doublé, celui de retraités pauvres est de 30% et les personnes obligées de cumuler deux emplois pour s’en sortir ont augmenté de plus de 80%. Ah le modèle rhénan ! Cet impérialisme allemand intra-européen rampant qui est en train de tuer l’Europe des nations !
Idem de la fameuse dette publique, mantra des libéraux, et argument suprême pour déconstruire le social, éponger le public et gaver le privé. Ridicule, pense Porcher, la dette publique française est largement couverte par les actifs, quant à la dette privée, dont on ne parle jamais, elle est de beaucoup plus importante et pas toujours couverte par des actifs solides. Et puis, « la dépense publique ne tombe pas dans un trou noir, mais finance l’éducation, les hôpitaux, la police, la justice, les retraites ou les prestations chômage ». En fait, la dette sert d’épouvantail et de repoussoir bien commodes pour mener les politiques d’austérité qui ravagent tout sur leur passage, compriment les salaires, éreintent la protection sociale et appauvrissent les peuples, mais pas l’oligarchie qui s’en nourrit et en assurent avec acharnement la promotion et la mise en place.
Tout cela passe évidemment par la casse sociale, mais aussi, et on le sait moins par l’affaiblissement progressif des entreprises en tant que productrices de biens et de services, leur financiarisation gave l’actionnaire, mais les mène vers l’obsolescence faute d’investissements, de modernisation et de politique industrielle ou de projets innovants. Au bout de ce chemin sans perspective dynamique, délocalisation et licenciements. C’est comme cela qu’est « tombé » l’ex fleuron industriel français Alstom ou que se délite aujourd’hui, sous nos yeux, la SNCF, livrée désormais à tous les vents mauvais de la concurrence prédatrice et déloyale.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la petite musique écologiste à la mode n’est qu’hypocrisie et poudre aux yeux, le capital ne s’en souciera que quand l’écologie sera rentable. D’ici-là il fait semblant ! En attendant, il se vautre dans les gaz de schiste, le pétrole offshore, le charbon et a fait du carbone une valeur pour boursicoter.
T. Porcher n’est pas dupe de l’inanité européenne, aussi ne manque-t-il pas de démonter et de dénoncer son fiasco dû en partie au libre-échange, qualifié d’arme de domination massive.
Enfin et pour faire bonne mesure, il nous parle des instruments que le libéralisme économique s’est donnés pour contrôler et verrouiller : du FMI à la Troïka (grande tourmenteuse de la Grèce), aux divers traités de libre-échange (TAFTA, CETA et autres), sans oublier les fameux et absolument iniques tribunaux arbitraux qui dessaisissent la justice au profit « d’arbitres » grassement payés et peu enclins à déplaire à leur commanditaires.
Dans sa conclusion, Porcher énonce 10 principes, je n’en citerai que 5 : « Ne jamais se laisser imposer les limites du possible », exit TINA ! ; « Un individu n’est jamais seul responsable de sa réussite ou de ses échecs », le chômeur n’est pas la cause du chômage ; « Avant de préconiser la baisse de la dépense publique, essayer de comprendre ce qu’elle recouvre »toute la problématique des services publics ; « La finance n’est l’amie de personne… sauf des financiers » ;« Si vous aimez l’Europe, critiquez la Commission »… et œuvrez pour qu’elle devienne enfin un outil démocratique, ce qu’elle n’a jamais été.
Gilles POULET
18/09/2018
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