État d’urgence au zinc
Le P’tit comptoir 4
Un monde plus sûr ?
C’est l’heure de l’apéro, le P’tit Comptoir bruisse des conversations habituelles sur la pluie et le beau temps et aujourd’hui du prix effarant, selon Françoise, des fruits et légumes « dont il faudrait consommer quatre ou cinq portions par jour », ironise-t-elle. Il faut dire que dehors, le marché bat son plein. C’est une bonne aubaine pour Albert, le Bougnat.
Liliane fait son entrée et claironne son traditionnel : « Salut les mignonnets ! Déjà à l’abreuvoir ? »
- Ben heureusement pour moi, rétorque, tout aussi traditionnellement, Albert, le bistrotier.
- Joseph, dit Tiroir-caisse, conseiller en agence bancaire : Vous avez entendu le discours du Président Macron devant la Cour de Défense Européenne des Droits de l’homme (CDEH) ? V’la un mec qui en a ! Devant les juges de la CEDH, il a rappelé « l’attachement de la France à l’équilibre entre les libertés publiques et la nécessaire lutte contrele terrorisme ». Et tant pis pour les guignols qui prétendent qu’il martyrise les libertés.
- Gilles : je vois que l’indécrottable admirateur de notre petit Monarc se contente des apparences « en même temps » qu’il ignore la portée du transfert des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun, car c’est de cela qu’il s’agit, c’est ça qui est « en marche ».
- Roger : En transférant dans le droit commun ces mesures, Macron malmène la séparation des pouvoirs, sans garantir plus de sécurité, tant s’en faut. De plus, il offre une victoire idéologique majeure aux djihadistes, qui n’agissent que dans un but : affaiblir et à terme abattre la démocratie, qu’ils abhorrent.
- Joseph : T’exagères, comme d’hab. Si on t’écoute, Macron ne fait rien de bien. Il a tout faux.
- Gilles : En attendant, il livre clefs en main l’arsenal dont rêve tout régime autoritaire. Imaginez l’extrême droite arrivant un jour au pouvoir en France… Bonjour les dégâts !
- Françoise : Cette catastrophe n’est, hélas, plus impossible et notre Joli Cœur de la politique installe un despotisme soft, dont je me demande ce qu’en fera l’Administration, qui se voit octroyer des pouvoirs, pour moi, exorbitants parce qu’ils enjambent ou contournent le juge, dont elle ne tardera pas à abuser…
- Liliane : Si vous vous trouviez mitraillés ou écrasés vous ne parleriez pas comme des inconscients et, bien au contraire, vous soutiendriez les efforts dépensés pour notre sécurité. Moi, je n’en ai pas peur parce que je n’ai rien à me reprocher.
- Albert : Sauf tes petits arrangements avec la tune liquide…
- Arrête tes conneries Albert, le liquide c’est Nos vacances, tu es bien placé pour le savoir. Pour en revenir à ce que je disais, en fait je pense que c’est le minimum syndical, la preuve c’est qu’un gugusse de la vraie droite a dit que la fin de l’état d’urgence était une erreur qui affaiblit le degré de protection des Français. Alors ?
- Ouais, c’est l’inénarrable Ciotti, rigole Fanfan le mari de Liliane. Une épée dans son genre et la tronche qui va avec…
- Cette joyeuseté met en route une dynamique sécuritaire très dangereuse, soupire Roger. Car c’est bien une banalisation de l’état d’urgence que ce transfert opère, avec l’abandon des principes propres à garantir les individus contre l’arbitraire. Bref ! cette banalisation menace l’État de droit, que Monarc, comme dit Gilles, le souhaite ou non. Et quant à l’argument de Liliane : « J’ai pas peur parce que j’ai rien à me reprocher », c’est là-dessus que tous les salopards comptent pour faire passer leurs lois répressives. Ouvre les yeux Liliane !
- Fanfan : Oui ! Ouvre-les et bien grand, ma Lili. Je suis d’accord avec Gilles et Roger, l’état d’urgence relève d’un état de crise, c’est pourquoi l’enfiler dans la loi commune est une méchante affaire qui pourrait bien tourner au vinaigre.
- Tais-toi donc mon pauvre Fanfan ! qu’est-ce que tu y connais, toi, à la loi, à la crise et au reste ?
- Ben moi, dit Xavier, je suis d’accord avec Ciotti, c’est du rétro-pédalage qu’on paiera un jour ou l’autre. Faut rien laisser passer. Et commencer par charger tous ces salopards de djihadistes sur un vieux barlu bien pourave, et le couler en pleine mer ? Y aurait que le bateau de perdu…
- Le génie frontiste a encore frappé, s’épouvante Françoise. Et comment tu les repères les gars que tu veux noyer ? L’état d’urgence a-t-il empêché Nice? Empêchera-t-il toute velléité mûrie dans le cerveau halluciné d’un converti ? Non ! Bien sûr ! En plus tes mesures radicales ont un parfum plutôt dégueulasse, tu trouves pas ?
- Bof ! Faut parfois prendre le taureau par les cornes…
- Roger : Et finir cocu avec les fachos au manche. Les mesures qui vont être transférées vont affaiblir la garantie judiciaire, c’est bien le drame. Même limitées au terrorisme, des mesures telles que l’assignation à résidence, les visites, perquisitions et saisies administratives, les périmètres de sécurité ou la fermeture administrative de lieux du culte vont être décidées, comme sous l’état d’urgence, par le ministre de l’Intérieur ou le préfet. L’ajout d’une référence au juge des libertés et de la détention ne suffit pas à rééquilibrer l’ensemble.
- Gilles : D’autant qu’on sait bien que les pouvoirs administratifs adorent les tracasseries et que leurs agents ont pour sport préféré d’outrepasser leurs droit et d’en abuser. Fro tte-toi à un flic conscient d’être bien couvert et tu verras.
- Mais bon Dieu, vous ne comprenez donc pas qu’à circonstances exceptionnelles il faut des réponses exceptionnelles, s’insurge Xavier. Vous baissez les bras, les djihadistes rigolent !
- Gilles : C’est ton point de vue et je ne m’en étonne pas. Vous les mecs de droite, vous aimez le caporalisme, le bonapartisme et avez le culte du chef tout-puissant, mais moi, je pense, avec d’autres rassure-toi, que la meilleure réponse au terrorisme, c’est plus de démocratie, plus d’ouverture. Et surtout la magnifique réponse du : « On n’a pas peur de vous, vous ne nous ferez pas changer notre mode de vie ».
- Roger : D’autant, que tous les juristes sérieux ressassent depuis des lustres que le corpus législatif français dispose de tous les moyens adéquats. Alors en rajouter… on voit pas bien à quoi ça peut servir, sauf à glisser, encore une fois, vers un despotisme soft, bien utile contre ceux « qui foutent le bordel » et ceux qui « ne sont rien ».
- Gilles : Oui et il faut se souvenir aussi que l’état d’urgence a toujours accompagné l’installation des dictatures. C’est une sorte de préalable qui favorise l’accoutumance dans les esprits des contraintes au quotidien et des mesures dites « exceptionnelles », et puis un jour, pouf ! Voilà les chemises noires, les SA ou quelque autre avatar facho et là , c’est trop tard.
- Albert : Et tu ferais quoi, toi ?
- Ben j’suis pas au manche, mais je pense que, appuyé sur le droit existant, je renforcerais le pôle antiterroriste en moyens de toutes sortes : humains d’abord, matériels aussi. Plus de juges, plus d’enquêteurs, plus de véhicules, plus d’ordinateurs, bref plus et encore plus ? Cela devrait être suffisant et ne serait sûrement pas attentatoire à nos libertés.
- Yaka quoi !
- Non Albert, faudrait que ! Mais ça demande plus de courage.
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