Nadia, Mila, Fatiha… Salman, Samuel, et tant d’autres… Libres, laïques, courageux… En danger !
Nadia Geerts, une militante belge laïque, féministe et antiraciste, qui pense volontiers à contre-courant1, est aujourd’hui, à son tour, harcelée, menacée, diffamée.
La censure identitaire anti-laïque ne vise pas que certains professeurs de l’École publique ou enseignants des Universités et Grandes Écoles françaises.
L’assassinat de Samuel Paty a mis au jour, en France, et plus généralement en Europe, une prise de conscience aigüe de la multiplication de comportements extrêmes engendrés par une haine fondamentalement racialiste, tout aussi radicale qu’irrationnelle quand elle s’associe à un dogmatisme religieux extrémiste.
Née de la mouvance postmoderniste, elle vise à déconstruire l’émancipation que confère l’éducation à l’esprit critique dans l’école de la République, et à installer une dichotomie systématisée au sein de la société, schématisée par des oppositions binaires dominant / dominé, victime / oppresseur, blanc / non-blanc, qui nient toute dialectique faisant appel à la raison.
L’assignation identitaire gagne peu à peu l’Université, de conférences interdites aux blancs en curricula passés au crible de la censure. Récemment, la culture du bannissement mise en œuvre par des éveillés2 autoproclamés a cloué au pilori de ses réseaux asociaux et tenté de faire exclure de leurs facultés des universitaires accusés d’être racistes pour avoir osé défendre le droit à la libre expression, la neutralité, et la laïcité.
C’est ainsi qu’en Belgique, Nadia Geerts — agrégée de philosophie, essayiste, et lauréate du Prix international de la laïcité 2019 — se voit harcelée depuis le 19 octobre dernier pour avoir publié un « #JeSuisSamuelPaty » sur la page Facebook de la Haute école où elle enseigne : preuve on ne peut plus éclatante de son racisme et de son islamophobie…
S’indigner qu’un enseignant ait été décapité suite aux allégations mensongères d’une de ses élèves et/ou défendre ouvertement la laïcité ne serait-il donc plus un devoir, mais un délit ?
Il semblerait que ce soit le cas à la Haute École de formation des enseignants qui emploie Nadia Geerts (équivalent des INSPE français). Alors que les signes convictionnels étaient interdits par Wallonie-Bruxelles Enseignement3 dans tous ses établissements d’enseignement supérieur et de promotion sociale (environ 50 000 étudiants), son administration a soudainement décidé qu’à partir de septembre 2021 ils seraient autorisés, décision d’autant plus surprenante qu’un arrêt de la Cour constitutionnelle avait confirmé le 4 juin 2020 le caractère constitutionnel et non discriminatoire de cette interdiction.
Au vu de cette décision, Nadia Geerts a émis un simple commentaire — Voilà, on y est — sur sa propre page Facebook. Les insultes, menaces et accusations de toutes sortes ne se sont pas fait attendre, certains allant jusqu’à l’incriminer, sans aucune preuve à l’appui, de discrimination raciste envers des étudiants de couleur, par le biais de sa notation. Ce sont donc sa probité et son impartialité qui ont été attaquées par ce recours d’étudiants à des procédés diffamatoires qui portent directement atteinte à sa réputation, sa qualité, et sa personne. Le Conseil des Étudiants4 est même allé jusqu’à rédiger une motion de défiance réclamant des sanctions à l’égard de Nadia Geerts. Ce Conseil est supposé être représentatif des étudiants de la HE2B, mais il est permis d’en douter car, dans le même temps, Nadia Geerts a reçu de nombreux messages de sympathie et de soutien des étudiants qui suivent ses cours.
Face à cette situation, et comme dans beaucoup de cas, malheureusement, un tsunami de haine a eu pour réponse un pas de vagues de la hiérarchie… qui espère peut-être que, grâce à la pandémie, l’obligation de dispenser les cours en distanciel parviendra à noyer ce pois(s)on.
Cependant, ses prises de position publiques, ses interviews et les articles lui apportant le soutien des associations laïques dérangent, encore et toujours. Pour témoin les protestations déclenchées par une interview donnée à L’Observatoire du décolonialisme qui fait état du peu de soutien reçu de ses collègues et dénonce le fait désormais habituel que les rôles sont inversés — la victime de harcèlement est représentée comme raciste et intolérante alors même qu’elle défend humanisme, droits de l’Homme et laïcité.
Alors qu’en pense Nadia Geerts ?
Ce qui se rejoue ici, nous le connaissons bien, depuis Salman Rushdie et ses Versets sataniques, l’attentat contre Charlie Hebdo ou le meurtre de Samuel Paty, et il oppose en réalité deux camps. D’une part les défenseurs de la liberté d’expression, qui inclut le droit de choquer, de heurter la sensibilité religieuse des uns ou des autres et de se moquer d’une idée. De l’autre, la foule des partisans du « Pas de vague », ceux qui pensent qu’il suffit de faire le gros dos assez longtemps pour que la tempête se calme, ceux qui pensent que refuser de faire le gros dos, c’est attiser la haine, souffler sur les braises, et en fin de compte chercher les ennuis. Ceux, aussi, qui pensent qu’il faudrait arrêter de critiquer l’islam au motif que ce serait la religion des opprimés, piétinant au passage le principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi et sacrifiant l’idéal émancipateur des humanistes d’hier sur l’autel du prétendu libre choix des libéraux anglo-saxons. Ceux qui, en un mot comme en cent, pensent qu’au fond, j’ai un peu cherché ce qui m’arrive, voire que je ne l’ai pas volé.5
Nadia Geerts a démissionné du Conseil pédagogique de l’École, et a sollicité une mutation. Mais elle ne se taira pas, car se taire, ce serait céder à la peur, accepter la censure et s’infliger l’auto-censure6.
Les violences morales ou/et physiques perpétrées contre les défenseurs de la laïcité ne sont pas confinées à l’Hexagone, comme on voudrait parfois le faire accroire, mais elles se répandent rapidement en Europe, ciblant de façon privilégiée les pays les plus enclins à faire vivre la laïcité et consolider les deux piliers qui la soutiennent : la neutralité et la liberté de conscience.
Alors quand la vigilance ne suffit plus, l’action est requise.
Le combat de Nadia Geerts est le nôtre.
Qu’elle soit ici assurée de notre soutien indéfectible.
Mireille Quivy
- C’est ainsi que Nadia Geerts se définit elle-même dans son Blog.
- Allusion aux mouvements américains cancel culture et wokeism.
- Enseignement de la Communauté française
- Organisation comparable aux syndicats étudiants français.
- Le problème n’est pas l’islam – Les carnets de Nadia Geerts (over–com)
- Nous renvoyons ici à l’enquête menée par le Fondation Jean-Jaurès, en France et à l’analyse des sondages Licra et CNESCO (pp. 17-18 de ce numéro), qui font état des pressions que vivent directement ou indirectement les enseignants au quotidien.
Les enseignants de France face aux contestations de la laïcité et au séparatisme | Fondation Jean–Jaurès (jeanjaures.org)
Les enseignants : une population culturellement moins homogène et électoralement plus diverse | Fondation Jean–Jaurès (jean–jaures.org)
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